Appel à la reconnaissance des professions du spectacle en Suisse romande

Sandrine Girard
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/ #145 Du temps pour la qualité.

2010-11-11 04:39


Bien sûr, nous savons que fabriquer des bouchons de dentifrices est plus rentable qu'une pièce qui parle de notre histoire actuelle. Ou passée. Ou qui nous dépasse, souvent. Pourtant, il faut du temps pour les fabriquer ces bouchons. ll faut du temps pour réaliser quelque chose de qualité. On en vient à oublier leur utilité première : “ avoir de bonnes dents” . Artistes, nous pourrions travailler à la chaîne pour faire ces bouchons mais nous pourrions difficilement les penser, les réaliser. Là n’est pas notre métier. Nous savons, comme artistes, musiciens, concepteurs, acteurs, auteurs, peintres, performeurs ou autres, à fabriquer un moment vivant, qu’il soit dans le coeur, l'Histoire, la pensée, les pulsions, le mouvement, le rythme du monde et l’endroit immédiat où nous sommes. Notre employeur n'est pas une industrie mais l'ensemble des contribuables. Nous leur devons la qualité. Nous vendons nos billets mais tout ça a à voir avec le vivant avant tout. Nous cherchons la qualité quelle soit physique, abstraite ou réaliste avant le beau-vendable, vite-jetable.

Il faut du temps. Il faut du temps pour façonner les finances de l’état. Il faut du temps pour que la qualité prime sur ce que nous projetons parfois en “ quantité” aux yeux du reste du monde. Que notre société soit équitable en tous points de gauche à droite, ouf! Pas simple. Il faut du temps pour que les arbres poussent, et oui. Il faut du temps pour faire le bon art qui anime tant les scènes, les musées, les salons, les bureaux clubs et cafés, et radio et j’en passe dont tout ce qui se trame hors murs! Si tout s’arrêtait, si la musique s’arrêtait partout, n’oublions pas quelle continuerait de se faire partout quand même.

Il se trouve que l’être vivant suisse n’est pas qu’une chanson mais il a besoin de payer ses factures. Il faut du temps pour élever des enfants. Du temps plein à la garderie pour ma fille et vite servir des bières? S’il faut survivre, oui. Il faut du temps pour un bon plat, pour faire un bon service, une qualité de rencontre qu’elle soit à la caisse de migros ou à la banque. Mais j’ai un métier, tout comme celui qui dessine les montres ou qui cuisine votre dîner. Le verrais-t-on commencer son travail sans être sûr d’un budget et d’un salaire? Si oui, le projet doit être d’une immense qualité sans faille que le meilleur de soi pour oser proposer l’idée. On peut se tromper, oui. On doute sans cesse; on cherche, on trouve. Par le brut comme l’orfève. Nous habillons non vos poignets et vos agendas ( tout aussi important) mais sûrement une part de mémoire, de savoir ou de coeur gros.

Il faut du temps pour rassembler les jeunes du quartier pour bâtir une pièce basée sur leurs propres idées. Bien sûr nous pourrions vite faire bien faire mais là n’est pas l’utilité première de notre métier. Nous pourrions faire ça en dehors des productions. Nous l'avons fait. Et encore plus. Mais il faut beaucoup de temps pour réaliser un tel projet. Enseigner aux jeunes, aller visiter les personnes âgées?Oui. Mais il faut un support financier à la base et nous avons le devoir de qualité. On peut vite faire deux, trois bons scketches au EMS et si nous leur faisions passer un moment qui leur font un réel bien ? Du temps réel avec eux, pour eux? S'ils sortaient au théâtre?


A fil du temps, on s’accroche à notre métier, Il faut du temps pour chercher les sous pour payer toutes les factures. Les artistes sont des surdoués des finances; ils savent se débrouiller avec peu mais ils ne savent pas faire avec moins! Nous ne comptons pas nos heures parce que quand il est question de qualité, nous continuons jusqu'à perfection. Il faut du temps. Nous écrivons quand nos enfants font dodo, le matin, nous redécouvrons autant le monde avec eux. Puis autant entre deux répétitions, nous répétons encore un peu pour que ce soit parfait. penser, sentir, avancer, comprendre, donner, recevoir, donner… Pourquoi? Pour de bonnes dents, pour le bon doigté, la bonne tonalité tout autant que la conscience et le don de soi.

Nous avons de l’emploi à temps plein et nous risquons à chaque mois les poursuites. Trouvons un accord pour éviter ces situations de pauvreté et pour une vie décente. La qualité d’une société dépend de la qualité de temps donné, aux enfants entre autres, aux gens, au monde.

Merci du temps que vous donnez à trouver une solution avec nous.


Sandrine Girard