Pétition unitaire Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE)

Article du Point

/ #2884 Article du Point : Haro sur les profs !

2013-12-10 14:02

http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/prepas-ce-modele-de-reussite-que-l-on-veut-abattre-10-12-2013-1767174_1886.php

Haro sur les profs !
Par JEAN-PAUL BRIGHELLI


Dimanche 8 décembre, Vincent Peillon passait sur la Cinq dans C politique. Le ministre s'est payé le luxe de commencer par une citation qu'il a attribuée à Sartre ("La colère est un bon moyen de comprendre"), et dont il n'a rien fait. Mauvais principe dissertatif : de l'esbroufe, et pas grand-chose derrière. Il a enseigné il y a très, très, très longtemps, et pas longtemps. Il a perdu la main.

D'ailleurs, le lendemain lundi, toute la France des prépas - là où l'on apprend pour de bon à faire une dissertation qui ressemble un peu à quelque chose - était en grève pour le lui dire, avec des taux de participation qui atteignaient souvent les 100 %.

Profs en solde - 20 %

Pour ceux qui n'auraient pas suivi, ou qui s'abîmeraient encore dans des abîmes de mauvaise foi, petit rappel des faits. Vincent Peillon, sous prétexte de faire des économies qu'il redistribuerait aux enseignants de Zep (j'y reviendrai), a décidé d'araser les salaires des profs de prépas. Je vous passe les détails, les décharges supprimées, les heures sup réintégrées dans l'horaire normal, les classes en plus, les heures de colle transformées en compléments de cours, j'en ai déjà parlé dans une chronique antérieure. Au final, c'est 15 % d'heures en plus pour 15 à 20 % de salaire en moins : ce n'est pas seulement moi qui le dis, c'est Cédric Villani, l'une des dernières médailles Fields que nous avons reçues, et qui doit savoir mieux compter quand même que le ministre.

"J'aime les classes préparatoires", a dit Vincent Peillon, soutenant avec ce léger sourire méprisant qu'aucun de ses conseillers ne parvient à lui faire effacer qu'il ne faut voir dans ces mesures "aucune attaque contre les classes préparatoires" - juste équité et justice (même remarque que précédemment : il ne devrait pas accumuler les synonymes, ça fait remplissage). C'est un mensonge : Vincent Peillon rêve depuis longtemps d'éradiquer les classes préparatoires et les grandes écoles - il l'a dit à maintes reprises, par exemple dans Libération le 3 février 2010.

Acharnement

Je ne sais quel traumatisme est à la source d'une telle vindicte. Aurait-il un jour postulé pour un poste en prépas que l'Inspection générale des années 1970 lui aurait refusé ? Aurait-il tiré de son court passage dans une École normale d'instituteurs la conviction que le supérieur est une sinécure ? Quelle blessure narcissique expliquerait un tel acharnement contre le dernier morceau du système éducatif français qui non seulement fonctionne encore, mais que le monde entier nous envie ?

Je dis le monde entier, parce que le monde entier fonctionne de la même manière. Que sont Cambridge, Oxford, le MIT ou les facs japonaises sinon de grandes écoles, sélectionnant impitoyablement les meilleurs - à celle près que, en outre, elles les sélectionnent aussi par l'argent ?

Marxistes et libéraux entonnent la même chanson : "Le facteur économique est déterminant en dernière instance." Le ministre frappe à la caisse des profs de prépas, ça lui évite de revaloriser sérieusement tous les autres profs, dont le pouvoir d'achat, jamais revalorisé depuis des années maintenant, s'est effrité peu à peu - comme il s'était sérieusement dégradé lorsque Claude Allègre avait arbitrairement décidé de diminuer de 17 % le paiement des heures sup : quelle fatalité veut que la gauche au pouvoir accable ceux qui l'ont élue - et qui du coup ne la réélisent pas, voir 2002 ?

Les nantis vous saluent bien !

Si encore sa ponction avait une quelconque crédibilité... Mais les économies réalisées (20 millions) sont un atome par rapport au budget pléthorique de son ministère (84 milliards). Tout comme les classes prépas dans leur ensemble (coût : 1,1 milliard) sont un confetti dans le système - un confetti chargé de tous les péchés. Ce que coûte effectivement un élève de prépas (14 000 euros par an), c'est ce que l'OCDE en moyenne consacre à ces étudiants : on veut faire payer au confetti la disgrâce budgétaire des facs françaises (8 000 euros par étudiant), on veut le rendre responsable de la débâcle pédagogique de tout le système antérieur.

Parce que le noeud de l'accusation de notre moderne Fouquier-Tinville (nous avons de la chance, Peillon aurait sévi en 1793, il aurait été Saint-Just ou Hébert), c'est que les prépas et les grandes écoles reproduisent (saint Bourdieu, priez pour moi...) les inégalités de classe. Les nantis parlent aux nantis - ou à leurs enfants.

Là encore, ce n'est pas vrai. La loi nous fait obligation de recruter 25 % de boursiers, et les chiffres sont en général bien au-delà - 40 % à Marseille en moyenne, 54 % au Havre, jusqu'à 60 % dans les prépas d'outre-mer. Et 100 % dans les "prépas à la prépa" qui ont fleuri ici et là depuis quelques années. Les nantis vous saluent bien !

Nous sommes le dernier ascenseur social (le seul en tout cas qui fonctionne) et nous parvenons, malgré la défaite globale, comme la méthode du même nom, de tout le système scolaire antérieur, à rattraper l'écart de niveau entre les populations les plus défavorisées, confinées dans ces Zep que le ministre affectionne, faute d'y avoir enseigné, et ces "fils de bourgeois et fils d'apôtres" dont parlait Brel. L'écart initial est en moyenne de 2 points : en deux ans, nous les remettons sur les rails du savoir et de la culture, tant littéraire que scientifique. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un rapport de la Conférence des grandes écoles.

100 % de réussite !

Non seulement nous ne sommes pas des couveuses d'héritiers, mais pendant que l'université envoie chaque année 50 % de néo-bacheliers au casse-pipe, souvent faute de moyens, nous qualifions la quasi-totalité de ceux que nous couvons. Les classes prépas coûtent cher ? Mais quel est le rapport qualité-prix d'étudiants qui réussissent presque tous, étant entendu que ceux qui n'intègrent pas une grande école, où le taux de réussite finale est extraordinairement élevé, même en période de crise, passent en fac où ils forment, au niveau L3 ou M1, le gros du bataillon des étudiants brillants ? Loin d'être le repoussoir que décrit abusivement le ministre, nous devrions être le modèle de tout l'enseignement supérieur. D'ailleurs, d'aucuns s'y mettent. L'antenne londonienne que vient d'ouvrir la fac de Dauphine n'est rien d'autre qu'une grande école externalisée.

Les collègues du secondaire commencent par ailleurs à saisir les intentions du ministre. Réduire d'autorité le salaire des enseignants, cela ne s'était jamais vu depuis Laval en 1935 (une sacrée référence pour un ministre qui se prétend de gauche), cure d'austérité qui a donné les résultats que l'on sait.

Fonction publique : on brade !

Après les prépas viendront les gros bataillons de l'Éducation nationale : rabiotons, il en restera toujours quelque chose. Puis l'immense masse de la fonction publique (sinon, le Conseil d'État pourrait de se fâcher et faire comprendre à Vincent Peillon que stigmatiser une partie de la population, cela ne se fait pas en droit français). Les Espagnols, dans leur lutte contre l'effritement des bénéfices des banques, ont diminué les salaires des fonctionnaires de 20 %. La France de François Hollande envisage-t-elle de faire mieux ? Cela suffirait-il, d'ailleurs, à garantir les dividendes des grands groupes, auxquels pour rien au monde les "socialistes" au pouvoir ne toucheraient ?

"Justice sociale", dit Peillon, qui se paye de mots. La vraie justice sociale consiste à donner plus à ceux qui ont moins, sans pour autant spolier ceux qui parviennent encore, dans la grande paupérisation du milieu enseignant, à gagner presque autant que leurs homologues allemands. La vraie justice sociale consiste à donner les moyens d'accéder aux savoirs, via les prépas ou l'université, pas à décourager les enseignants qui se décarcassent.

Le PS ne passera plus par nous

Parce qu'il le sait bien, le ministre, que nous nous décarcassons pour nos élèves ! Parce qu'il sait bien jouer sur notre conscience professionnelle, sur la vague culpabilité qui traîne dans les salles de profs à l'idée de faire perdre deux ou trois jours de travail à ceux que des parents pleins d'espoir nous ont confiés ! Eh bien, c'est raté : nous étions en grève lundi, il y avait 5 000 manifestants à Paris, profs et étudiants mêlés, avec des slogans qui remettaient l'imagination au pouvoir - c'est ce qui arrive en général lorsqu'on s'en prend aux bons élèves. Laurent Fabius l'a bien senti qui sur France Inter, lundi matin, a tapé sur les doigts de son cher collègue, avec l'air de ne pas y toucher qui le caractérise : "L'objectif me semble devoir être d'élever le niveau général des étudiants, y compris d'université, vers le meilleur, qui a été symbolisé jusqu'ici par les classes préparatoires, plutôt que d'abaisser le niveau des classes préparatoires vers un niveau général qui serait insuffisant."

affiche anti-PS prepa
Ce serait drôle que par nous naisse, contre un gouvernement socialiste, non pas un second Mai 68 - l'histoire ne repasse pas les plats -, mais une seconde déroute de ce qui se prétend encore la gauche. Le PS, en tout cas, avec une telle politique, ne passera plus par nous.
Nous sommes ouverts à la discussion - encore faudrait-il que l'invitation à discuter nous arrive. Tout peut se remettre à plat, entre interlocuteurs de bonne foi. Mais face à un mur, il ne reste que les stratégies du désespoir - et l'humour, ce qui revient au même.