A-t-on vraiment besoin d’un Puy du Fou en Wallonie ?

Il y a quelques jours, plusieurs médias annonçaient la potentielle installation d’un troisième parc « Puy du Fou » (après la Vendée et Tolède) en Belgique sur le site des Lacs de l’Eau d’Heure. Si les brefs articles ont tous vanté l’intérêt économique que constitue l’arrivée d’un tel parc sur notre territoire, ils ont néanmoins passé sous silence le caractère problématique des messages véhiculés par les spectacles qui y sont proposés à l’exception d’un article paru dans Le Soir[1].

Sur son site internet, le Puy du Fou se targue, nous citons, « d’être devenu la référence mondiale du grand spectacle vivant enraciné dans l'Histoire et la Culture des peuples », ou encore : « Le Puy du Fou est une aventure artistique qui s'inspire du légendaire français mis en scène au service de l'émotion ». Mais quelle est véritablement l’histoire convoquée à travers ces shows censés à la fois nous divertir et nous en apprendre un peu plus sur l’histoire de France ? Fondé en 1977 par Philippe De Villiers, le parc du Puy du Fou attire chaque année plus de deux millions de spectateurs. Présentant une certaine vision d’un passé fantasmé de la France dont la culture et les valeurs chrétiennes seraient menacées depuis toujours par l’invasion extérieure, il n’est pas exagéré de prétendre que ce parc œuvre au réarmement idéologique de l’extrême droite et pas seulement en France. Son fondateur a d’ailleurs plusieurs fois tenté sa chance à l’élection présidentielle comme candidat de la droite catholique monarchiste, via son parti Mouvement pour la France, et a siégé de nombreuses années comme député européen au sein de groupes d’extrême droite dont il sera même vice-président.

Peut-on séparer l’œuvre de l’artiste ?

Nous ne le pensons pas. D’autant que « l’œuvre » fait l’apologie de récits très identitaires qui s’exportent via le concept de « cinéscénie » [2] partout dans le monde. Ce parc est en effet devenu une véritable entreprise multinationale soutenant ainsi les discours nationalistes, notamment espagnols et autres, au travers des spectacles pseudo-historiques qui se révèlent en réalité tous très politiques. Aux dernières élections présidentielles, Philippe De Villiers déclarait explicitement « que s’il ne se présentait pas, c’était car il arrivait à faire passer davantage d’idées politiques dans son parc qu’à travers une campagne présidentielle ».

Pas de doute donc concernant les ambitions du Puy du Fou qui se targue pourtant avant tout de faire du divertissement.

L’histoire n’est pas neutre, on le sait, autant par le choix des thèmes de recherche que par la façon dont l’historien aborde les questions qu’il choisit de traiter. Il n’en demeure pas moins que la rigueur scientifique est fondamentale même quand il s’agit d’une médiation historique, aussi « spectaculaire » soit elle. Dans l’ouvrage Le Puy du Faux : enquête sur un parc qui déforme l’histoire[3], quatre chercheurs s’attèlent ainsi à montrer que les spectacles sont truffés d'erreurs et de simplifications, le tout au service d'une propagande à peine diffuse qu'il s'agit de repérer si on veut la combattre. L’usage et l’instrumentalisation politique du passé proposés dans ce parc ne peuvent en aucun cas être qualifiés d’anecdotiques.

S’il est important de faire sortir l’histoire des laboratoires de recherche comme de l’Université et même de l’école afin de rendre le savoir accessible au plus grand nombre, par un travail de vulgarisation, il est aussi intéressant de se poser la question suivante :  quelle histoire est-il utile de visibiliser davantage auprès des citoyens et citoyennes dans ce cadre ? Une histoire figée dans le formol des vignettes « Nos gloires » ou une histoire qui interroge et souligne les aspérités, les évolutions, les luttes émancipatrices, qui permet de mettre en lumière la manière dont se sont structurées et même croisées les inégalités (sociales, culturelles, sexistes, etc.) au fil du temps ?

Les premières déclarations politiques, à l’exception de deux sorties d’élu·es écologistes[4], autour de ce projet, dont le site du Lac de l’Eau d’Heure serait le réceptacle (mais avec quel impact écologique pour un tel site ?), ne parlent avec enthousiasme que des éventuelles retombées économiques. Il nous semble pourtant essentiel qu’un véritable débat démocratique ait lieu concernant ce projet, tant sur l’utilisation du terrain envisagé que sur celle de l’argent public. Celui-ci devrait alors provenir, en toute cohérence, de l’enveloppe « tourisme » et certainement pas des enveloppes de l’éducation permanente, de la culture ou de la mémoire. Trois secteurs qui souffrent d’un sous-financement chronique alors qu’ils peuvent être à la fois générateurs d’emplois de qualité et de proximité et servir à une meilleure compréhension d’un passé qui donne le désir d’agir dans le monde et de le transformer. Les démarches collectives d’apprentissage et de réflexion critique issues de l’éducation populaire peuvent être inspirantes, car elles rendent réellement actrices et acteurs les publics et non passifs comme dans un parc d’attractions.

Par ailleurs, pour faire une réelle histoire, il faut des sources et des archives. Si le but de la région est de développer la connaissance de son passé, injecter des moyens dans les centres d’archives est une nécessité vitale.

Au-delà donc du contenu potentiel d’un parc d’attractions dont on ne sait pas s’il aura pour objet l’exaltation identitaire de l’histoire wallonne ou française, c’est l’opportunité même de dépenser de l’argent public à soutenir une telle initiative privée, alors que le secteur de la culture souffre, qui devrait être le cœur d’un réel débat public.  

Texte rédigé par Julien Dohet, Historien, et Audrey Taets, animatrice en éducation permanente

Premiers signataires : Ludo Bettens (historien IHOES), Michael Bisschops, Benjamin Blaise (Directeur des Territoires de la Mémoire), Francine Bolle (Historienne CHSG-ULB), Cédric Boonen, Jérôme Delnooz, Milena De Paoli, Eric Florence, Eric Geerkens (professeur d’histoire ULG), Tamara Hannay, Catherine Lanneau (professeure d’histoire ULG), Dawinka Laureys (Historienne IHOES), Véronique Limere (président CAL province de lIège), Alain Marchandise (Médiéviste ULG), Catherine Maréchal, Christophe Masson (ULG), Julien Paulus, Michel Recloux, Lionel Vanvelthem (Historien IHOES), Viktoria Von Hoffmann (Moderniste ULG), François Welter (Directeur du CARHOP), Micheline Zanatta (Présidente IHOES).

Ce sont ajouté·es : - Emmanuel Debruyne, historien (UCLouvain) - Ralph Dekoninck, historien de l’art (UCLouvain) - Ingrid Falque, historienne de l’art (UCLouvain) - Caroline Heering, historienne de l’art (UCLouvain) - Jean-François Nieus, historien (UNamur) - Bénédicte Rochet, historienne (UNamur) - Xavier Rousseaux, historien (UCLouvain) - Nicolas Ruffini-Ronzani, historien (UNamur / Archives de l’État) - Jean Vanden Brouck-Parant, archéologue (UCLouvain) - Françoise Van Haeperen, historienne (UCLouvain)

Notes

[1] Stéphane Vande Velde, Puy du Fou : quand les intérêts économiques s’opposent à l’éthique in Le soir du 14.12.2023, p.14

[2] Il s’agit de mise en scène de spectacles « son et lumière » et de vidéomapping.

[3] Florian BESSON, Mathilde LARRÈRE, Guillaume LANCEREAU, Pauline DUCRET, Le Puy du Faux : enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes, 2022. On mentionnera également le reportage Histoire, argent, pouvoir : les vrais secrets du Puy du Fou diffusé dans l’émission Complément d'enquête sur France 2 en septembre 2023.

[4] Olivier Bierin d’Ecolo au parlement wallon et Virginie Godet, conseillère communale Vert Ardent à Liège dans un texte Un passé frelaté : Le Puy du Fou, une façon de conquérir les imaginaires publié sur le site du Mouvement Demain fin novembre 2023.


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