Pétition : APPEL pour un D.E.S. "médecine de la douleur"

Appel des médecins de la douleur, universitaires et hospitaliers français.

 

La Médecine de la Douleur doit être enseignée par un DES spécifique, pour des raisons médicales, scientifiques, sociales et éthiques:

-la douleur chronique est une véritable maladie, avec des mécanismes physiopathologiques et une évaluation complexe qui nécessitent une connaissance et une pratique spécifiques.

-la douleur chronique est une pathologie de l’isolement, de la précarité, de la fragilité sociale et du handicap, une pathologie fréquente et en augmentation, avec un coût sociétal majeur, responsable d’arrêts de travail souvent prolongés, et première cause d’invalidité chez le patient de moins de 50 ans.. Elle justifie une prise en charge spécifique holistique.

- les médecins de la douleur sont de véritables spécialistes de la maladie chronique et sont les seuls capables de l'appréhender dans toute sa de la complexité. La médecine de la douleur est une médecine moderne en lien avec des équipes paramédicales multiprofessionnelles et avec l’ensemble du système médical.

- le recours aux médecins de la douleur permet d’améliorer la qualité des soins de nombreuses spécialités médicales et chirurgicales

- un système de soins moderne et juste doit pouvoir disposer d’un maillage national en médecins de la douleur, en centre hospitaliers généraux et hospitalo-universitaires, en lien avec la médecine générale, les structures de soins chroniques comme les EHPAD ou les centres de rééducation. La médecine de la douleur est la médecine de support de nombreuses structures et doit être une médecine d’excellence, enseignée comme telle.

 

1. Contexte de la demande:  “la médecine de la douleur”, une mission de santé publique indispensable justifiant une formation spécifique

 

Il est fondamental que le DESC “douleur – soins palliartifs” soit transformé en un authentique DES qualifiant de "Médecine de la douleur", permettant désormais de reconnaître la médecine de la douleur pour ce qu’elle est devenue depuis de nombreuses années, une spécialité médicale à part entière pour remplir des missions de santé publique précises et indispensables.

 

La restructuration du troisième cycle des études médicales est en cours, avec pour horizon la disparition des DESC, la mise en place de DES et de FST, sous la direction des Professeurs François Couraud et François-René Pruvot. Dans le domaine de la médecine de la douleur, des propositions concernent la disparition des DESC I, et notamment le DESC “médecine de la douleur et médecine palliative”.

 

Un projet discuté serait la transformation du DESC “douleur soins palliatif” en Formation Spécialisée Transversale (FST), notamment pour la partie “médecine de la douleur”. Pour le Collège National des Enseignants Unversitaires de la Douleur, la mise en place d’une FST “douleur” constituerait une régression par rapport aux avancées pionnières de la France en matière de douleur, qui, depuis 20 ans a vu se développer une formation spécifique permettant le développement de près de 325 structures spécialisées labellisées sur tout le territoire, modifiant de façon importante l’offre de soins.  

 

2. La douleur chronique : un problème majeur de santé publique et un coût considérable pour la société

 

La douleur chronique représente à ce jour un des problèmes de santé les plus prévalents, touchant plus d’un français sur 5 1 entraînant un coût socio-économique considérable, de l’ordre de 300 milliards d’euros en Europe 2. La douleur constitue le principal motif de consultation des cabinets médicaux et les 5 premiers médicaments les plus prescrits en France sont des antalgiques.

Sa prise en charge constitue la première attente des patients hospitalisés en France. Elle fait l’objet d’une Pratique Exigible Prioritaire (PEP), pour la certification des établissements de santé français par la Haute Autorité de Santé.

 

Les douleurs chroniques les plus fréquentes sont les douleurs ostéo-articulaires (lombalgies et arthrose), les céphalées/migraines, les douleurs neuropathiques et les douleurs viscérales.

 

Les structures de lutte contre la douleur reconnues par les ARS, au nombre de 325 en France, prennent en charge environ 300 000 patients par an. Ceci est donc loin de couvrir les besoins en matière de prise en charge de la douleur, et rendent compte des délais d’attente de plus en plus longs dans les structures spécialisées (jusqu'à 6 mois dans certaines structures).

 

Ces Structures douleur sont un acteur majeur de l’amélioration de la qaulité de vie des patients douloureux chroniques, et, lorsque c’est possible, contribuent de façon décisive au retour ou maintien au travail des patients en âge de travailler.

 

Avec le vieillissement prévisible de la population, il faut s’attendre à une augmentation des besoins, puisque la prévalence de la douleur chronique augmente considérablement avec l’âge (elle est de plus de 50 % après 75 ans), mais aussi avec la présence de comorbidités, notamment l’obésité.

 

3.  La formation actuelle sur la douleur et la nécessité d’un DES de “Médecine de la Douleur”

 

Les médecins de la douleur sont à la pointe de la vision moderne de la prise en charge des maladies chroniques et ont pour mission de coordonner la prise en charge des patients en lien avec les autres professionnels de santé.

 

Si tout médecin doit pouvoir prendre en charge la douleur aigue, la prise en charge des douleurs chroniques nécessite des compétences spécifiques. Le corpus de connaissances scientifiques et de compétences cliniques requises est bien identifié pour justifier qu'une prise en charge optimale soit assurée par de véritables professionnels ayant acquis une formation théorique et pratique de 4 ans.

 

Actuellement la formation médicale sur la douleur est assurée:

 

- en deuxième cycle par le module 6 (prochaine UE 5), 20 heures de cours environ

- en troisième cycle par le DESC de type 1 “médecine de la douleur et médecine palliative” depuis 2008

- et par les Capacités “Douleur” (270 heures d’enseignement théorique sur deux années), formations post-universitaires pour les médecins thésés issus de disciplines variées, au nombre de 14 en France.

 

A ce jour, la formation des médecins de la douleur peine à assurer le recrutement des responsables de structures douleur et le renouvellement des générations des premiers médecins de la douleur. Les structures de la douleur sont coordonnées par des médecins ayant une Capacité ou un DESC « Douleur ». Environ 6 à 8 DESC “douleur” par an depuis la création du DESC I et environ 80 médecins par an issus des capacités douleur ont été formés à la douleur depuis 2008, année de la création du DESC "Médecine de la Douleur-Médecine Palliative". Qu’il s’agisse des Capacités ou du DESC, la formation spécifique actuelle des médecins de la douleur est de deux ans, à la fois théorique et pratique, avec deux ans de stage dans des structures adaptées et identifiées par les ARS, en complément d’une formation généraliste ou spécialiste.

 

4. La justification d’un DES spécifique “médecine de la douleur”:

 

Le DES “Médecine de la douleur” apporte une formation spécifique de qualité, il permet une régulation de la filière, une adaptation des moyens à la demande de soins, sans emprunter à d’autres filières comme la médecine générale ou certaines spécialités.

Compte tenu de l’accroissement constant des connaissances concernant les données fondamentales, cliniques, les traitements pharmacologiques et non pharmacologiques, ainsi que l’apprentissage de gestes techniques indispensables, la gestion d’une équipe pluriprofessionnelle dans le domaine de la douleur, une formation d'une durée de 4 ans est à prévoir.

Les formation des médecins de la douleur devra permettre:

-La connaissance d’une physiopathologie complexe spécifique

-L'identification et l'évaluation des différents types de douleurs;

-La connaissance des différentes approches thérapeutiques, non seulement médicamenteuses, mais aussi les principaux gestes analgésiques, les techniques de stimulation et de neuromodulation (invasives ou non), les approches non médicamenteuses, la familiarisation avec les autres options de prise en charge, notamment les diverses psychothérapies ou les médecines complémentaires.

-Une formation à la complexité, à la multidisciplinarité et à la multiprofessionnalité, pour assurer la coordination des soins de patients complexes, en lien avec les médecins généralistes, spécialistes d’organe, en ville et à l’hôpital.

 

Un enseignement de qualité déjà existant:

Depuis 15 ans ont été organisés plusieurs enseignements sur la douleur, tant les 14 capacités “douleur” jusqu’au DESC actuel de type I. La communauté douleur est forte de PUPH et de PH responsables de structures de lutte contre la douleur, qui participent à l’enseignement et à la coordination des capacités et du DESC, auxquels on peut ajouter 5 professeurs associés “douleur”. Ces spécialistes participent aussi à de très nombreux enseignements internationaux et à l’élaboration de bonnes pratiques et de recommendations en France 

 

5. La FST: une approche non adaptée à une formation de qualité et à des médecins dédiés

 

Le besoin de formation en médecine de la douleur, au minimum de 3 ans, ne pourra pas s'intégrer dans les maquettes de formation aux différentes disciplines, à moins de rallonger considérablement la durée de formation des internes pour leur permettre d'acquérir une seconde spécialité en "médecine de la douleur", ce qui semble incompatible avec l'esprit de cette réforme.

La FST constitue une régression majeure, car cette approche “transversale” assurée en complément de la formation aux autres spécialités, n'aura ni identité ni visibilité pour les étudiants. La FST qui assurera une formation à la douleur minimale, ne permettra pas le recrutement indispensable de véritables médecins de la douleur.

 

6. La nécessité de reconnaître la douleur comme une spécialité à part entière :

 

Contrairement à une idée reçue, si la douleur aigue est transversale, la douleur chronique n’est pas transversale, c’est une maladie qui justifie des spécialistes

La médecine de la douleur est une discipline encore jeune, qui a pris réellement son essor à partir des années 1960-1970, et son émergence dans notre pays doit beaucoup à des individualités issus de diverses spécialités médicales (anesthésie, neurologie, neurochirurgie, rhumatologie…), mais qui pour beaucoup se sont "professionnalisés" pour devenir de véritables spécialistes en médecine de la douleur, sur la base d'un socle de connaissance commun indépendant de leur discipline d'origine.

 

La médecine de la douleur intègre:

 

-un savoir fondamental spécifique très large, en expansion

-une clinique spécifique, complexe

-des approches bien identifiées, pharmacologiques et non pharmacologiques, multidimensionnelles et multiprofessionnelles.

-en support ou en recours de nombreuses autres spécialités médicales et chirurgicales.

 

Un système de soins juste et moderne doit reconnaître cette approche, l’identifier et la valoriser.

 

7-La demande des patients:

 

La médecine de la douleur représente pour de nombreux patients un espoir de prise en charge globale et spécialisée. Les besoins sont importants et les délais d’attente croissants.

La douleur chronique est une atteinte fréquente, et l’on estime que près d’un tiers de la population pourrait en être atteinte. La Médecine de la Douleur représente une médecine de support de la médecine générale, de nombreuses spécialités médicales et chirurgicales.

Les pathologies chroniques représentent un coût majeur et la douleur chronique est associée à de nombreuses comorbidités: précarité sociale, handicap, vieillissement, obésité, addictions, troubles anxio-dépressifs… Les demandes de patients sont majeures. La Médecine de la Douleur, médecine de la complexité par essence, répond ainsi aux défis éthiques de la médecine moderne.

 

8-Une recherche de pointe reconnue:

 

La recherche sur la douleur est très active en France, organisée en réseau, avec un niveau de publication reconnu internationalement.

 

Le "Réseau INSERM de Recherches sur la Douleur" créé en 2002 (coordinateur Pr Radhouane Dallel) est partenaire actif et permanent de la société d’étude et de traitement de la douleur (SFETD)  présidée par le Dr Didier Bouhassira, directeur d’unité INSERM.

Ce réseau regroupe 26 laboratoires français en 2013 sur l’ensemble du territoire français (30 équipes, dont 7 équipes hospitalières ou hospitalo-universitaires associées à des structures de lutte contre la douleur, incluant 393 personnes dont 109 sont des enseignants chercheurs.

Les thématiques cliniques phares en recherche clinique sont: les douleurs inflammatoires, neuropathiques, postopératoires, viscérales, dysfonctionnelles, l’hyperalgésie médicamenteuse, céphalées et douleurs trigéminales.

Les chercheurs et cliniciens français participent activement aux instances européennes et internationales et recommendations en recherche clinique sur la douleur (9 recommandations internationales sur l’évaluation ou le traitement de la douleur de 2010 à 2014).

La présence française augmente constamment dans la littérature mondiale sur la douleur avec 3580 articles publiées dans le domaine de la douleur en France de 2010 à 2014 dans des revues internationales dont plus de 150 dans des revues d’impact factor (IF) > 10 et plus de 14000 citations par année. Ce chiffre correspond à un excellent score par rapport aux autres pays Européens (entre 2650 et 7600 articles) et la France se situe en seconde position pour le nombre d’articles publiés dans des revues à IF >10.

Une estimation de la recherche clinique à partir des essais cliniques déclarés (sur clinicaltrials.gov) fait état de 927 résultats, dont 235 pour la période 2010-2014 (170 en Allemagne, 71 en Angleterre). La France se situe aussi dans le peloton de tête au niveau Européen pour l’indice de citation (H-index) avec un indice de 120 pour la période 2005-2014 (contre 125 pour l’Allemagne et 136 pour le Royaume Uni). Ainsi une trentaine de cliniciens Français de la douleur (PH, Professeurs associés, PUPH), ont une réputation internationale avec un index H médian de 25 (15 à 43).  

 

9- La médecine de la Douleur en Europe et dans le monde:

 

La médecine de la douleur est reconnue comme une spécialité médicale ou comme une spécialité complémentaire dans plus de 12 pays européens (Portugal, Slovaquie, Tchéquie, Irlande, Suède, Autriche etc.) ainsi que dans de nombreux pays hors Europe, dont les USA, Israel et la Turquie. En outre, des chaires universitaires dédiées à la médecine de la douleur existent dans de nombreux pays européens (Grande Bretagne, Allemagne, Danemark). La reconnaissance de la douleur comme une spécialité à part entière en France inciterait encore bien d’autres pays à emboiter le pas, comme nous l’ont confirmé de nombreux collègues Belges, italiens ou espagnols, de telle sorte que la douleur pourrait rapidement devenir une spécialité Européenne, comme le demande l'EFIC (European Pain Federation), dont c'est un des objectifs prioritaires pour les cinq prochaines années.

 

Pour conclure, nous demandons que la Médecine de la Douleur, médecine de la chronicité et de la complexité, justifie d’un enseignement spécifique de DES. Les patients, via leurs associations, mais aussi les étudiants en médecine, soutiennent fortement cette demande, indispensable pour la construction d’un système de santé moderne et juste.

La mise en place d’une FST “douleur”, qui serait une formation raccourcie par rapport à la situation actuelle, ne couvre en rien les besoins de formation sur la douleur, ampute les autres formation spécifiques et aboutit inéluctablement à une désertion progressive des médecins souhaitant se former à la douleur.  Elle conduira à terme à la fermeture pure et simple de nombreuses structures de prise en charge de la douleur. Cette formation transversale sans visibilité serait une véritable régression pour les patients, et pour l’enseignement et la recherche sur la douleur en France.

 

Cet appel pour un DES “Médecine de la Douleur” est signé par les médecins suivants:

 

Pr Serge Blond (Président du Collège des Enseignants Universitaires de la Douleur), Pr Serge Perrot (Centre de la Douleur Hotel Dieu Paris, Vice-président de la SFETD), Dr Didier Bouhassira (Centre de la Douleur, Ambroise Paré, Boulogne, Président de la SFETD), Pr Nadine Attal (Centre de la Douleur, Ambroise Paré, Boulogne), Pr Alain Serrie (Centre de la Douleur, Dr Michel Lanteri-Minet (Centre de la Douleur de Nice, Past-président de la SFETD), Dr Sylvie Rostaing (Centre de la douleur de St Antoine), Pr Pascale Vergne-Salle (Centre de la douleur, CHU Limoges), Pr Bruno Brochet (Centre de la Douleur, CHU de Bordeaux), Pr Julien Nizard (Centre de la Douleur, CHU de Nantes), Dr Gisèle Pickering (Centre de la Douleur, CHU Clermont-Ferrand), Pr André Muller (Centre de la Douleur, CHU de Strasbourg), Dr Roland Peyron (Centre de la Douleur, CHU de St Etienne),

 

liste en cours de constitution….