Refondation de l'école : les dindons prennent la parole

Lucas

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2012-11-08 22:18

Je suis directeur d’école et en fin de course professionnelle, 39 ans d’ancienneté…
Je ne suis pas content du tout de mes conditions de travail qui se sont dégradées sans cesse depuis une bonne 20aine d’années, et ce malgré une très bonne loi dite Jospin et des budgets longtemps confortables.
Pourtant je ne signerai pas votre pétition.
Les mots ont un sens, et si on veut éviter les pinaillages c’est assez simple. Les devoirs sont interdits, les leçons sont autorisées. Aucune étude n’a démontré l’efficacité des devoirs à la maison, et d’ailleurs leur seule justification c’est vous allez voir au collège !
Ben oui, on voit, plus de 20% des élèves qui ne maitrisent pas les fondamentaux.
Ils sont là les vrais dindons du système éducatif : les élèves.
Et les résultats de notre école justifient la Refondation. Ce qui me permet de répondre sur le fond en laissant la petite guéguerre de celui qui reste le plus longtemps à l’école et en précisant que si l’agriculteur ne tient pas à faire mon métier, ben moi je ne tiens pas ni à faire agriculteur, ni employé de maison, ni infirmier, ni maçon, ni chirurgien, ni avocat...
Mon métier c’est enseignant, certains trouvent ça fastoche, d’autres ne se voient pas devant une classe… Il y a des PE qui partent à 16h30 de l’école, d’autres qui y passent leurs WE…. Les bons sont ceux qui font progresser leurs minots, leur apprendre à devenir des citoyens. Reste une donnée objective : nous sommes les enseignants les moins bien payés de l’OCDE.
Je ne signerai pas votre pétition d’abord parce que vous confondez la nécessité de rupture avec l’existant (refonder) avec l’amélioration de l’existant (réformer).
Ensuite parce que vous réduisez la Refondation à une mesure : les rythmes scolaires.
C’est oublier bien vite, la maternelle (cycle unique avec scolarisation des 2 ans), liaison «école-collège» (école du socle), rétablissement de la formation, refonte des programmes, nouvelle gouvernance (autonomie des écoles), projet éducatif local…
Et, pour rectifier votre introduction, TOUS les acteurs du système éducatif ont pu se faire entendre, et c’est bien à partir de ces concertations que le rapport a pu dégager des pistes que le gouvernement peut explorer.
On sera certainement d’accord pour dire que l’école appartient à la nation et pas à une ou plusieurs catégories de citoyens… D’où tirez-vous donc les « priorités » que vous exposez ?
Après quel débat, quelle concertation
•>l'allègement des programmes scolaires du primaire
La révision des programmes et leur régulation sont prévues

•>la baisse des effectifs par classe
Là, ok, max à 20. C’est indispensable et il n’est pas normal que les budgets successifs depuis plus de 20 ans n’ont servi qu’à augmenter les équipes IEN et les enseignants loin des écoles.
Moins de 20 élèves/classe, mais avec une contrepartie, même 2 :
- efficacité (baisse des redoublements, acquisition des fondamentaux)
- prise en charge par l’école des remplacements courts

•>la remise en place des RASED
Si je déplore le gâchis humain, je ne veux plus du dispositif. Comme il ne faut pas confondre l’école et les enseignants (qui ne sont pas les responsables des maux de l’école), il ne faut pas amalgamer les personnels « spécialisés » et le dispositif dans lequel il exerce leur spécialité. Le RASED n’a jamais prouvé son efficacité. Si l’école crée de plus en plus d’échecs, c’est à elle à se questionner et certainement pas à considérer que plus de 20% de ses élèves nécessite une «rééducation». Pire, on arrive à ce que des PE se plaignent de ne pouvoir s’occuper "plus" des « bons », tant ils sont pris par ceux qui ont des difficultés. Or c’est la base de notre boulot et le taux d’élèves dont les difficultés sont d’origines médicales ne dépasse pas les 3%.Un peu comme ce type qui se donne des coups de marteau sur la tête et qui cherche un casque...

•>La prise en charge des élèves porteurs de handicap
ça, dit comme cela, est honteux. L’école de la République doit pouvoir apporter une réponse à TOUS les enfants. C’est bien à l’école de « prendre en charge » et à l’instit. de faire progresser. Maintenant, et dans ce cas précis de handicap déclaré, oui, il faut souvent une aide qui ne peut se concevoir qu’à l’échelle de l’école et à travers un travail d’équipe concerté avec les partenaires. Une des raisons pour donner plus d’autonomie aux écoles.

Vous demandez aussi :
•> Le maintien absolu de l'indépendance des enseignants face à la collectivité territoriale
Si c’est du domaine « pédagogique » dont vous parlez, il faut le préciser, et nous sommes d’accord. Si c’est au sens large, c’est aller un peu vite sur l’Histoire et la Culture de la « communale », non ?
Vous voudriez donc, que le propriétaire des lieux, que celui qui finance le fonctionnement et l’investissement de l’école soit écarté de la prise de certaines décisions ? Au nom de quoi n’aurions-nous pas des comptes à rendre sur la sécurité, l’organisation, les projets... ?
Au nom de quoi n’aurions-nous pas des comptes à rendre aux élus, aux parents et aux citoyens de la commune sur l’utilisation des deniers publics ?

•>des journées de décharge pour tous les directeurs et la pérennisation des postes d'aide à la direction
Pour quoi faire ? C’est à cette question qu’il faut répondre. La seule réponse possible :
- pour « faire» le directeur. C’est donc définir son statut qu’il faut plutôt que de le laisser dans cette mélasse en lui confiant, de surcroît, une « aide » qu’il doit former, dont il sera responsable et qui, en l’état actuel des choses, sera une aide surtout pour… l’IEN qui multiplient les injonctions et les tableaux à cases. Une autre raison pour réclamer plus d’autonomie.
Autonomie que vous ne réclamez pas, comme vous passez sur une formation réellement qualifiante...
Pour toutes ses raisons, je ne signerai pas votre pétition, qui sur le fond et sur la forme apparaît trop « corporatiste » ce qui n’est évidemment pas l’enjeu de la Refondation mais qui, de fait, provoque les tensions au lieu de les apaiser.