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2011-11-24 15:56

L’AUTRE VOIX SUR LA GUERRE EN LIBYE
Texte écrit le 12 octobre 2011 par
Mabrouka Gasmi, active dans la société civile en Tunisie
S. K. (tunisien résident en Belgique)
Kais N. enseignant universitaire tunisien à Tunis

Depuis le 14 janvier, à l’instar de la grande majorité de nos compatriotes, nous avons accueilli avec une joie et une fierté immenses le (r )établissement de l’un des principes fondamentaux de tout système démocratique : la liberté de la presse. Rappelons que si celle-ci est indispensable à la démocratie, c’est pour deux raisons essentielles : d’une part, parce qu’elle traduit l’un des droits humains les plus précieux : la liberté d’opinion et d’expression, et d’autre part, parce qu’une presse libre et indépendante constitue un indispensable contre-pouvoir. Cependant, depuis le déclenchement de la guerre en Libye, il nous semble que la liberté de la presse - et son indépendance - est de nouveau très sérieusement mise à mal.
La guerre que mène l’OTAN en Libye depuis près de 7 mois fait suite à la très contestable et critiquable résolution 1973 de l’ONU. Nombreux sont les documents et les témoignages qui exposent les conditions et les motifs peu avouables qui ont mené à l'adoption de cette résolution. Tout aussi nombreuses sont les voix qui dénoncent la manière avec laquelle celle-ci a été triturée, violée même. Depuis bien longtemps, il est établi de manière indéniable que nous sommes passés d’une résolution visant à « protéger les civils » à une intervention militaire visant purement et simplement à renverser le régime d’un pays souverain et à en instaurer un autre plus malléable et plus favorable aux intérêts des puissances occidentales. Peu en importe le prix.
La guerre menée par les principales puissances occidentales et leurs supplétifs contre la Libye n’est pas uniquement militaire. Elle est aussi médiatique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nous assistons depuis le début de la crise libyenne à une véritable mise en scène du conflit par les médias . Boubacar Boris Diop va plus loin et évoque une « implication quasi militaire des médias dits globaux dans le conflit ».
Que les médias de masse des pays impliqués dans le conflit (y compris le Qatar) proposent une grille de lecture — partiale et mensongère — des évènements visant à légitimer l’intervention armée (et les « dommages collatéraux » qu’elle occasionne), que ces mêmes médias usent et abusent des méthodes de censure et de désinformation que l’on applique sans scrupule à chaque nouvelle guerre, rien d’étonnant à cela. Rien de nouveau non plus. Les exemples de « média-mensonges » pour légitimer les guerres d’agression ne manquent pas : Vietnam, Irak, Afghanistan, Gaza…
Par contre, que les médias tunisiens, nouvellement libérés du joug de la dictature, appliquent ces mêmes méthodes de désinformation pour nous servir une vision biaisée de la tragédie libyenne, que ces mêmes médias s’alignent sans le moindre questionnement sur les communiqués de l’OTAN, que nos journalistes se mettent à cacher et à travestir les faits en vue d'induire l’opinion publique dans l’erreur, voilà ce qui nous interpelle et nous incite à questionner l’indépendance et l’impartialité de nos institutions médiatiques.
A l'unisson et dès les prémisses de la guerre, les médias tunisiens dans leur majorité ont délivré une interprétation univoque du conflit. Au fil des mois, ils l'ont répétée et en ont littéralement matraqué l'opinion tunisienne. Le message délivré – sans la moindre retenue ou questionnement – fut le suivant : Mouammar Kadhafi, un despote sanguinaire a pris son peuple en otage et menace de le massacrer. Ses partisans, peu nombreux, sont des fanatiques dangereux. Face à eux, les « rebelles » de Benghazi, le CNT (élevé du jour au lendemain au rang d'unique représentant légitime du peuple libyen) et l’OTAN — en mission de bombardement « humanitaire » — dont l’intervention a permis de sauver des milliers de « civils désarmés » constituent le bloc des « gentils », des « défenseurs des libertés », des « nobles révolutionnaires désintéressés ».
Ce discours médiatique sans nuance est un cas d’école. Il constitue un exemple parfait de ce qu'est la propagande de guerre. Comme le souligne Anne Morelli, « La propagande canalise classiquement la haine et les ressentiments de l’opinion publique vers un leader ennemi, censé être la cause de tous les maux. Il sera à la fois fou, démagogue, cynique, militariste. »
Pour appuyer ce discours de propagande, les médias tunisiens ont disposé d’une arme imparable : utiliser la légitimité incontestable de la révolution tunisienne pour faire croire à un soulèvement massif de toute la population libyenne contre un tyran sanguinaire, soulèvement auquel on ne peut qu'adhérer. Ainsi, quiconque ose contredire la version « officielle » pourra aisément être taxé de complice d’un dictateur. « À chaque guerre, c’est ainsi, souligne Michel Collon, au début, il est presque impossible de s’y opposer. Le matraquage médiatique est tel qu’on est immédiatement catalogué comme complice d’un monstre »
Il est devenu clair qu’après sept mois d'une compagne de bombardement sauvage et barbare supposée « protéger les civils », et à l’heure où nous écrivons ce texte, pas loin de 50 000 libyens seraient morts selon le responsable du CNT, information communiquée début septembre 2011. Syrte, ville martyre qui refuse les diktats de l’OTAN et de ses supplétifs, est en ce moment l’objet d’un génocide effroyable. Silence total des médias internationaux mais aussi des nôtres alors que les preuves des massacres commis par l’OTAN (vidéo à l'appui) sont à la portée d'un clic.
En tant que citoyens tunisiens, nous sommes tristes et choqués de voir la quasi majorité de nos médias réserver tous leurs espaces d'expression aux voix qui émanent d’une seule partie du conflit : celle de l’OTAN et ses supplétifs.
Nous sommes nombreux à dénoncer l’ingérence étrangère dans le conflit libyen, ingérence qui a très rapidement pris l'allure d'une (re)colonisation pure et simple d’un pays frère. Hélas nous ne trouvons, à notre connaissance, aucun espace médiatique pour faire porter nos voix.
De nombreux Tunisiens et Tunisiennes ont encore la possibilité d'exprimer leur indignation et de crier leur colère à travers une unique chaîne de télévision étrangère, ARRAI en Syrie. Internet, avec ses blogs et ses forums, constitue un canal important qui permet à nos compatriotes – à l'instar des millions de personnes à travers le monde qui se battent contre l'impérialisme et le néocolonialisme - de dire (et de lire) l’autre vérité sur cette guerre décidée et exécutée par l’OTAN et ses alliés..
La reconnaissance rapide du CNT par notre gouvernement provisoire et sans le moindre questionnement nous interpelle et nous fait réfléchir sur la souveraineté de notre Etat. Qu’en reste t-il ?Nous sommes en droit de nous le demander.
En Tunisie, les appels à manifester contre l'ingérence des puissances occidentales dans les affaires d'un pays souverain ne sont jamais relayés par nos médias. Il est de même pour les manifestations de soutien au peuple libyen martyrisé par les bombardements aveugles de l'OTAN qui ont eu lieu dans différentes régions de Tunisie. Ce sont les réseaux sociaux et une chaîne de télévision étrangère qui nous tiennent au courant de ces évènements et qui nous permettent de nous exprimer. De quelle liberté de presse et d’opinion pouvons-nous parler dans la Tunisie de l’après 14 janvier?
Reste la question du mobile : pourquoi nos médias se sont-ils si facilement alignés sur l’OTAN ? Complicité volontaire ? Paresse intellectuelle ? Peur d’aller à contre-courant d’une opinion elle-même victime de la désinformation massive des chaînes satellitaires ?
Aurons-nous jamais une réponse à ces questions ? Nos journalistes auront-ils le courage de se soumettre à un difficile, mais ô combien salutaire exercice d’autocritique ? Nous l’espérons.
En attendant, au nom de la démocratie, au nom de notre révolution, au nom de la longue histoire d’amitié qui nous lie au peuple libyen, au nom des milliers de victimes civiles tombées sous les bombes de l’OTAN, au nom aussi de tous ces travailleurs noirs, emprisonnés, torturés, massacrés, humiliés, exécutés, dépecés par des hordes de fanatiques racistes et sanguinaires, au nom de tout cela nous exigeons que les médias tunisiens ouvrent enfin leurs espaces d'expression à d'autres voix :
Celles qui dénoncent l’ingérence étrangère en Libye,
Celles qui dénoncent cette guerre colonisatrice
Celles qui dénoncent les média-mensonges,
Celles qui n’acceptent pas les beaux discours sur la démocratie et les droits humains qui ne visent qu'à mieux nous vendre une guerre colonisatrice,
Celles qui disent non à l'impérialisme.