Election Présidentielle Française à trois tours


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/ #15 Re: Re: Les 3 tours (voire 4) existent avec la primaire socialiste

2016-09-17 17:35

#14: - Re: Les 3 tours (voire 4) existent avec la primaire socialiste 

 

Puisque que nous sommes dans une période intensément électorale, il me faut absolument aujourd’hui vous parler du paradoxe de Condorcet.

Il s’agit d’une constatation formulée au XVIIIème siècle par le philosophe-marquis-mathématicien Nicolas de Condorcet, lequel a observé que dans certaines situations, quel que soit le mode de scrutin que l’on choisit, il est impossible de désigner un vainqueur indiscutable.

Cela peut paraître étonnant, mais comme nous allons le constater, le paradoxe de Condorcet est loin d’être une situation théorique. Pour autant vous allez le voir, il ne signifie pas pour autant l’impossibilité totale d’imaginer un scrutin démocratique juste.

Un exemple de paradoxe

Imaginons qu’à une élection se présentent 3 candidats : Alain, Béatrice et Claude. Supposons qu’environ 40% de la population préfère Alain à Béatrice, mais préfère Béatrice à Claude. Pour ces 40% de la population, on a donc Alain>Béatrice>Claude.

Maintenant supposons que pour 35% des gens on ait Béatrice>Claude>Alain, et pour les 20% restantsClaude>Alain>Béatrice. On va noter ça comme ça :

Groupe 1 (40%) : A > B > C

Groupe 2 (35%) : B > C > A

Groupe 3 (25%) : C > A > B

Où est le paradoxe ? Il vient du fait que quel que soit le mode de scrutin utilisé pour désigner le vainqueur, il y aura toujours une majorité de la population qui sera prête à le changer pour un autre. Aucun vainqueur n’est indiscutable !

Imaginons que le vainqueur soit Béatrice. Alors les groupes 1 et 3 (qui pèsent 65% de la population à eux deux) seraient d’accord pour remplacer Béatrice par Alain, puisque l’un comme l’autre préfèrent A à B.

Et vous voyez bien que tous les cas sont analogues : si c’est Alain qui est élu, alors les groupes 2 et 3 (60% de la population) préfèreraient avoir Claude à sa place. Bref, c’est inextricable : il ne peut pas exister de vainqueur indiscutable. Et vous voyez bien que ça ne dépend absolument pas du mode de scrutin, juste des préférences respectives des uns et des autres.

Le vainqueur de Condorcet

Heureusement, toutes les situations ne sont pas paradoxales ! Il existe des cas où on échappe au paradoxe.Cela se produit quand un des candidats gagnerait en duel contre n’importe lequel des autres. Ainsi si ce dernier est élu, il n’existe aucune possibilité pour qu’une majorité de la population veuille le remplacer par un autre. Il existe donc un vainqueur indiscutable, qu’on appelle alors le vainqueur de Condorcet.

Faisons une petite rétrospective. A l’élection présidentielle de 2007 en France, il existait clairement un vainqueur de Condorcet : François Bayrou. En effet d’après les sondages de l’époque, celui-ci aurait battu Nicolas Sarkozy au second tour, mais aussi Ségolène Royal !

Quand il y a un vainqueur de Condorcet, on devrait s’estimer heureux car cela signifie qu’on échappe au paradoxe. Et pourtant vous le voyez sur l’exemple de 2007, un vainqueur de Condorcet ne sera pas forcément le gagnant dans un scrutin classique ! C’est même d’ailleurs rarement le cas avec les modes de scrutins typiques en vigueur.

Un mode de scrutin qui permet à coup sûr d’élire le vainqueur de Condorcet (s’il y en a un) est appeléméthode de Condorcet. En voici une très simple : organiser tous les duels possibles entre les candidats. Si quelqu’un gagne tous ses duels, il est le vainqueur de Condorcet, et si personne ne gagne tous ses duels, on est dans le cas « paradoxal » (et on est mal !).

Évidemment si on a 15 candidats, il faut organiser une centaine de duels, je doute que les gens acceptent un tel type de scrutin où il faut donner 100 fois son avis, du genre « Préférez vous Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud ? ». Bon une manière rapide de le faire, c’est de demander à chacun de classer les 10 candidats par ordre de préférence. Voilà qui serait parfaitement jouable.

Un paradoxe de la démocratie ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser en première analyse, le paradoxe de Condorcet n’est pas un paradoxe de la démocratie. Il provient uniquement du fait que l’on analyse les candidats qu’en termes de préférence relative, un par rapport à l’autre («je préfère Béatrice à Alain »).

D’ailleurs les amateurs de foot connaissent bien le paradoxe de Condorcet, c’est-à-dire l’absence de vainqueur indiscutable, et savent donc le contourner. Si dans une poule de championnat du monde, la France a battu le Brésil, le Brésil bat l’Uruguay mais l’Uruguay bat la France. Qui est qualifié ? Si on regarde juste « qui a battu qui », on ne peut pas décider. La solution c’est d’aller au-delà, et de considérer par exemple les différences de but.

De même dans un scrutin, on peut faire une analyse plus fine en leur mettant des notes : « je mets 6/10 à Béatrice et 5/10 à Alain ». Et là il suffit de faire la moyenne des notes de chaque candidat, et de désigner le vainqueur. On dispose donc en principe d’une méthode qui peut désigner le candidat le plus approprié pour refléter les opinions des gens.

C’est d’ailleurs plus ou moins ce qu’essaye de faire la méthode dite du « jugement majoritaire », où l’on demande aux électeurs de mettre une note à chaque candidat, et le vainqueur désigné est celui qui a la note médiane (plutôt que moyenne) la plus haute.

C’est une méthode sympathique, qui évite les effets collatéraux des « petits candidats » (et donc l’effet rétroactif du « vote utile ») puisque chacun n’est jugé qu’en fonction de lui-même. Malheureusement, je pense que cette méthode est encore trop compliquée pour être acceptée facilement comme fondation d’une démocratie.

Sur la méthode du jugement majoritaire : l’initiative de Slate

…et mince ! Je découvre en finissant de mettre les références que Pour la Science m’a devancé !, texte écrit par les inventeurs du jugement majoritaire.

Pour aller plus loin…

On peut passer à des formulations mathématiques plus rigoureuses du paradoxe de Condorcet. Les plus formels d’entre vous auront noté que le problème vient de la non-transitivité de la relation de préférence, une fois considérée au niveau global. On a A > B > C > A !

Au niveau d’un seul individu, il n’y a (en principe) pas de problème de transitivité. Si vous préférez A à B et B à C, alors vous préférez A à C et donc A > B > C. La question est donc de prendre un ensemble de relations d’ordre qui sont toutes transitives, et d’en fabriquer une pour l’ensemble de la population, et qui soit elle aussi transitive. Et c’est là que ça coince.

Ainsi dans sa thèse en 1951, le futur prix « Nobel » d’économie K. Arrow a donné une version formalisée du paradoxe de Condorcet, connue sous le nom de théorème d’impossibilité d’Arrow, et qui affirme que dans certains cas, il n’existe pas de manière indiscutable d’agréger des préférences individuelles en une préférence collective.